Épisode 01 : Dans les forêts keltes chapitre 01

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Chapitre 1

La forêt kelte est profonde, sombre, impénétrable. Entre les chênes centenaires, qui dressent leurs troncs noirs comme des piliers magistraux, se trouve un tapis de ronces et de broussailles qui interdit aux explorateurs de la parcourir sans un équipement adéquat et une bonne dose de courage.

Mais du courage, Walcaud n’en manquait pas. Avant de partir, cet aventurier de vingt-cinq ans avait pris soin de s’équiper d’une armure cloutée, d’une cape, de faire reforger sa dague et sa rapière, et de se procurer de solides bottes qui lui remontaient jusque sous les genoux.

Acheter des chaussures neuves juste avant pareille expédition n’était pas la meilleure des idées : il s’était rapidement retrouvé en plein milieu des bois avec des ampoules aux pieds et le besoin pressant de prendre une pause. Vous l’aurez compris, Walcaud n’était pas le plus futé des humains.

Fort heureusement pour notre ami, au détour d’un ruisseau, il était tombé sur quelque chose de totalement inattendu : au milieu d’une clairière se dressait une cabane en bois qui servait d’auberge, ainsi qu’un entrepôt, et une échoppe à l’air libre. Le tout était défendu par une palissade sommaire.

Walcaud ne rêvait pas, un avant-poste ! Dans cette forêt sauvage, quelqu’un avait été assez fou pour installer un avant-poste ! Il y entra en sautillant de joie, et comme il avait toujours mal aux pieds, il chuta en passant l’entrée. Mais au point où il en était, un peu plus de ridicule n’allait pas le tuer : il fit comme si de rien n’était, s’attabla devant l’échoppe et commanda une tasse de chouchen, un alcool local préparé à partir de moût de pomme, de miel et de levure.

C’est après avoir descendu son rince-gosier d’une traite qu’il engagea la conversation avec la serveuse.

« Et donc… Silyen, c’est ça ? Alors comme ça t’es une… une sirène ? »

Question stupide s’il en est. La jeune femme qui se tenait devant lui était on ne peut plus sirène, en tout cas selon les standards de ce monde fantastique : outre la couleur azur que ses longs cheveux et sa peau arboraient, les écailles arc-en-ciel qui lui couvraient les hanches, les épaules et les avant-bras, elle avait quatre tentacules plantés dans le dos, et elle utilisait ces appendices comme membres auxiliaires. Quand elle ouvrait la bouche, on pouvait y voir briller des dents pointues, recourbées vers l’arrière.

« Oui, une sirène ! répondit l’intéressée avec un grand sourire.– Tout ce truc… c’est un vrai avant-poste ? Pas un traquenard ? Tu ne vas pas me sauter dessus dès que j’aurais le dos tourné ?

– Pas d’inquiétude, c’est une de nos stations, nous voulons juste commercer ! Notre matriarche nous a même interdit d’attaquer les humains, les elfes et les hommes-bêtes ! Sauf si c’est eux qui commencent. »

Walcaud avala sa salive sans quitter la sirène des yeux. Bien qu’humanoïdes, elles n’étaient pas considérées comme une race civilisée à cause de leur penchant pour la violence, leur organisation tribale, et leur appétit pour les mâles des autres espèces — la leur en manquait, et elles avaient tendance à en récupérer ailleurs de gré ou de force. Silyen, avec son mètre soixante, était plus petite que lui, mais ses tentacules qui gigotaient dans tous les sens la rendaient tout de même bien menaçante.

« D’ailleurs, les sirènes ne vivent pas dans l’eau normalement ? Qu’est-ce que tu fais là ?

– Il y a un lac juste au nord d’ici où mon clan est établi.

– Je n’étais pas au courant… »

Walcaud fronça les sourcils. Les cartes qu’il avait achetées avant de partir et qu’il avait payées très cher étaient probablement obsolètes. En un mot comme en cent, il s’était fait couillonner par le vieux qui les lui avait vendus.

« Et ton pied, ça va mieux ? demanda-t-elle.

– Bien mieux, merci. »

Silyen l’avait recouvert d’un onguent aux herbes médicinales, apparemment confectionné par les prêtresses de son clan. Le mercenaire avait été plus qu’étonné qu’il soit aussi efficace.

« Sinon, concernant ce panneau… »

Walcaud pointait vers un écriteau en bois qui pendouillait au-dessus de Silyen. Il y était inscrit les diverses commodités que la taverne proposait : le prix d’une tasse de liqueur, le prix d’une chambre à l’auberge, et, et c’est là que l’attention de Walcaud se portait, le prix d’une fille pour la nuit. Ledit prix, d’abord de trois cuivrons, avait été barré pour seulement un cuivron, puis il avait finalement été gribouillé, et une note indiquait que c’était gratuit.

« La fille en question, c’est…

– C’est moi !! Ça t’intéresse ?

– Ahem… non… non merci.

– Pas la peine d’être timide, je mords pas !

– Même sans ça… je crois que je vais m’en passer. »

Silyen poussa un soupir et avança sa lèvre pour montrer qu’elle boudait quelque peu. Les sirènes, comme nous l’avions dit, manquaient de mâles, à tel point qu’elles devaient faire feu de tout bois pour en trouver un et avoir l’espoir de se reproduire ; mais leur apparence physique — écailles, tentacules — était plutôt du genre à repousser les prétendants.

Sur ce dernier point, Walcaud n’était pas sectaire, les bordels de la capitale témoigneront en sa faveur. Mais dans cette situation, il ne se sentait pas d’entreprendre une partie de jambes en l’air avec une sirène au fin fond de cette inquiétante forêt, d’autant plus que ses jambes à lui n’étaient pas en état.

« Dis voir. Tu n’aurais pas des informations sur un nid de gobelin dans le coin ?

– Des gobelins ? Si si, il y a une bande pas loin d’ici. Mon clan voulait s’en débarrasser, mais ils nous ont repoussés… la duchesse nous a promis d’envoyer de l’aide.

– Eh bien, me voilà.

– De quoi ?

– L’aide, c’est moi. La duchesse m’a engagé pour que je me débarrasse de ce nid pour vous.

– C’est toi, l’aide ? »

On pouvait sentir la déception dans sa voix.

« Quoi qu’il en soit, je vais te prendre une chambre, répondit Walcaud vexé.

– C’est vingt-cinq pièces de cuivre.

– Vingt-cinq… c’est énorme ! C’est plus cher qu’à la capitale.

– Si tu dors avec moi, c’est gratuit. »

Silyen se pencha en avant vers l’aventurier. Pour se couvrir, elle ne portait qu’une bande de tissus croisés qui soulignaient des formes plutôt attirantes et qui mettaient en valeur son joli minois — en tout cas selon elle-même.

 « Juste la chambre, merci. », demanda Walcaud en posant sur le comptoir cinq grosses pièces en laiton.

Avec ces nouvelles informations, Walcaud comptait repartir au plus tôt. Pas question de batifoler avec la tenancière, même pour une chambre gratuite.

Ceci étant, il devait bien avouer qu’il faisait froid, dans la forêt kelte… la couchette était sommaire, la paille lui grattait le dos et le sommeil ne venait pas… et puis, Silyen était pas si mal…

Il commençait à regretter de ne pas avoir accepté l’offre plus tôt.

« Si je la réveille maintenant pour lui dire que j’ai changé d’avis, je risque de passer pour un crevard, non ? Merde, j’suis vraiment con… »

Après avoir attendu encore cinq minutes, il se décida enfin à allumer sa torche et à se lever.

« Qui ne tente rien n’a rien… »

Silyen logeait dans une petite maison située juste derrière l’entrepôt. Elle était plutôt sommaire, mais les sirènes, habituées à dormir dans des caves sous-marines, ne demandaient pas mieux.

Le poste avancé était plongé dans une ambiance sordide. La forêt environnante était étrangement calme. Même ces agaçantes chouettes, qui hululaient toujours au cœur de la nuit, se taisaient.

« C’est glauque, cet endroit… »

Une espèce de cri fit sursauter Walcaud.

« Qu’est-ce que c’était ? »

Il se retourna, projetant la lumière de sa torche en direction d’une dizaine d’êtres à la peau verdâtre, aux yeux jaunes et vêtus de vêtements en cuir.

« Des gobelins ! » s’exclama-t-il.

Ils étaient petits, tout juste un mètre cinquante, mais redoutés pour leurs attaques en groupe ; en outre, bien qu’on les appelle volontiers « monstres », ils avaient une apparence très proche des humains et une intelligence qu’il ne fallait pas sous-estimer.

« Merde, ils viennent vers moi ! »

 Walcaud tira sa dague juste à temps, alors que l’un des monstres se jetait sur lui, une arme tranchante à la main.

« Une épée ? Les gobelins n’ont que des gourdins d’habitude ! » s’exclama-t-il alors qu’il repoussait son adversaire d’un grand coup de pied.

Les assaillants se regroupèrent autour de lui. Ils étaient une bonne douzaine, et lui, il avait oublié son arbalète et sa rapière dans sa chambre.

« Me voilà bien… euh… on peut négocier, vous savez ! » dit-il alors qu’il ne pouvait pas reculer plus loin : il avait le dos contre le mur de l’entrepôt.

Les monstres s’approchaient mais ne l’attaquaient pas.

« Humain… pourquoi Humain dans forêt kelte ? Forêt kelte, forêt des Hommes-Renards, pas forêt humaine ! »

Du dialecte kelte. Cette même langue que parlait Silyen et que lui-même baragouinait avec peine. Déjà que notre aventurier avait du mal à tout comprendre quand les locaux s’exprimaient un peu vite, alors un gobelin !

« Merde, qu’est-ce que je lui réponds, à celui-là ? Quelque chose comme je ne suis pas un ennemi… mais je sais plus comment on dit ennemi en kelte ! »

La porte de l’entrepôt s’ouvrit avec fracas, tirant l’aventurier de ses pensées.

Une paire de tentacules lança une grappe de javelots qui allèrent empaler les gobelins.

« Petits monstres… vous allez voir ce qu’il en coûte d’attaquer le clan Mando ! »

Silyen venait de surgir, armée jusqu’aux dents : elle tenait une lame sans garde dans les mains et bombardait ses adversaires de projectiles avec ses tentacules.

Profitant de la confusion, Walcaud jeta sa torche en l’air, ramassa un des pieux, et passa derrière le groupe. Caché par la nuit, discret comme une ombre, il fit tomber quelques têtes avec son arme improvisée.

« Alors, vous faites moins les malins ! » dit-il tout en taillant dans le lard des gobelins.

Leur capitaine ordonna la retraite, et il était temps, car ils n’étaient plus que trois.

« C’est courant, les attaques de gobelins ? demanda Walcaud en essuyant le sang violet qui coulait sur sa pique.

– Non, c’est très rare… et ces armes… répondit Silyen, qui observait les cadavres.

– Du fer… quelqu’un a dû leur en fournir, mais je ne connais personne d’assez idiot pour tous nous condamner en traitant avec les gobelins…

– Ça, c’est encore la faute d’un humain ! déclara Silyen en agitant bras et tentacules.

– C’est… pas impossible. », dit Walcaud qui fronçait les sourcils.

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